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Le Pouvoir


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Quelques réflexions concernant le pouvoir en général et celui des psys en particulier.


 [1]

La définition du pouvoir, les antinomies, les justifications, la division du concept de pouvoir, les différents pouvoirs et les abus du pouvoir.

Cela sera par principe une tentative générale avec quelques exemples vécus, pour mieux faire comprendre ma pensée.

Le pouvoir c’est agir, c’est agir sur autrui, soit dans les rêves, soit dans l’imaginaire, agir sur sa vie concrète, agir sur ses rêves et ses sentiments, agir sur autrui en tant qu’individu ou agir sur les autrui et les choses d’une manière globale. Une fois donnée cette définition du pouvoir, quelles sont les deux antinomies du pouvoir, c’est-à-dire les choses que mettent toujours en avant ceux qui veulent contester un pouvoir, ce qui était assez fréquent dans les années 70. Contre le pouvoir, on parle de l’autonomie, des libertés et en ce qui concerne plus spécifiquement les médecins ou les psys dont je suis, on parle aussi de la fonction d’aide, de la fonction des soins, de la fonction d’accompagnement, en les présentant volontiers dans les débats comme fonction antinomique du pouvoir médical. Le pouvoir c’était vilain et le non pouvoir c’était beau dans ces années 70.

Alors je voudrais commencer par justifier le pouvoir. En France, au XVIIème siècle, je ne garantis pas l’auteur, on disait : « trois choses font courir les hommes : l’argent, les femmes et le pouvoir ». J’ajouterais que moins les femmes arrivent à vous faire courir, plus le pouvoir et l’argent arrivent à vous faire courir, mais, selon les âges et les possibilités, il y a l’intrication de ces trois facteurs. Cette phrase recouvre une certaine idée non pas biologique mais au moins culturelle des sociétés judéo-chrétiennes, occidentale et européenne. Celle que, comme il y a des fonctions primaires, des besoins primaires (la nourriture, la respiration), nous avons depuis cinq mille ans sinon plus, développé d’autres besoins dont la richesse, le pouvoir et, au lieu de dire les femmes, mieux vaut dire aujourd’hui la sexualité, parce que comme les femmes font courir les hommes, de la même manière, les hommes font courir les femmes qui elles aussi, ont droit au pouvoir et à l’argent. Que la majorité des gens coure après le pouvoir, ce n’est pas un mal intrinsèque pour moi. Souvent, ceux qui critiquent la notion de pouvoir se divisent en deux catégories : le style anti-machiavel, je ne sais pas si vous avez lu son petit bouquin qui s’appelle « anti-Machiavel » qui est un livre qui est tout plein de bonnes intentions : des gentillesses, des mignoneries, le prince doit servir, il doit être gentil, Machiavel est un affreux bonhomme. A comparer les deux livres, le « Machiavel » et « l’anti-Machiavel » on aurait tendance à dire : quel affreux bonhomme que cet italien, quel type généreux que ce prussien. A comparer les biographies, il apparaît que Machiavel était un malheureux errant qui courait d’une cour à l’autre pour vendre ses services à bas prix à tel ou tel prince italien alors que Frédéric de Prusse est celui qui a construit la monarchie prussienne et connaissait certainement mieux le pouvoir. Il savait mieux s’en servir et l’exerçait effectivement.

Donc une première catégorie de gens qui critiquent le pouvoir, comme monsieur Frédéric de Prusse, pour mieux l’exercer après.
Une deuxième catégorie est celle de ceux qui ne l’ont pas et qui envient ceux qui l’ont. Nous y reviendrons : c’est important (chez les psys en particulier ...) Le pouvoir est donc un certain besoin culturel de l’homme et il procure des plaisirs au même titre que l’argent, la sexualité, la nourriture etc... Dans la mesure où c’est un plaisir et où ce sont souvent les mêmes gens qui condamnent le pouvoir et qui sont tout à fait pour le plaisir, j’indique tout de suite que je cherche pas à condamner le pouvoir.

A côté de cette reconnaissance du pouvoir comme un plaisir et un besoin de l’homme, il est question aussi de rationalisation du pouvoir. Revenons à l’anti-machiavel de Frédéric de Prusse. Le pouvoir dit celui qui l’exerce, « je l’exerce pour le bien des autres, le bien de mon peuple, le bien de mes malades, le bien de mes enfants, le bien de mes vieux parents. Cette rationalisation est une mystification, dont je donnerai quelques exemples de ce type.

Je pense que dire « j’aime le pouvoir c’est mon plaisir » participe d’une certaine forme honnêteté, là où parfois, pas toujours, une certaine malhonnêteté ? de mystification commence à refuser de dire ouvertement qu’on a ce plaisir du pouvoir et que l’on cherche à le rationaliser a posteriori en disant qu’il est exercé pour le bien de tel ou tel. Le pouvoir, cle cancer qui embête la psychologie. J’essayerai de dire comment j’ai imaginé de classer le pouvoir de deux façons : la première se fait en trois catégories : je les appellerai : le pouvoir bureaucratique, le pouvoir théorique et le pouvoir charismatique. La deuxième façon, c’est d’opposer le pouvoir que j’appelle donné par un tiers, et le pouvoir contractuel. Le paradigme du pouvoir donné par un tiers, son prototype le plus beau était bien sûr le pouvoir-devoir absolu, donné par la grâce de Dieu, le tiers absolu, la transcendance totale. Dans la société, ce pouvoir donné par un tiers, c’est le pouvoir donné par la société sur les autres etc.

Le pouvoir contractuel pose une question. Où Rousseau et d’autres ont parlé d’aliénation, du contrat social, dit d’une manière très tirée par les cheveux que le peuple a aliéné une partie de sa liberté en donnant le pouvoir au prince qui le gouvernait pour son bien et que il y avait toujours là un pouvoir contractuel. L’histoire montre que ce pouvoir dit contractuel se fait toujours à coup de flèches empoisonnées, de gourdins, de catapultes, et maintenant à coup d’armes atomiques et que le contrat y est pour peu de choses.

Chez nous les psys et les médecins, cette division entre pouvoir donné par les tiers et pouvoir contractuel recouvre un peu mais pas complètement la division précédente entre pouvoirs bureaucratique, charismatique et théorique. Il est évident que le pouvoir bureaucratique est un pouvoir donné par les tiers. Il existe beaucoup dans la « chose psy », alors que le pouvoir contractuel se retrouvera plus dans un contrat duel et sera plus proche d’un pouvoir charismatique.
Le pouvoir « bureaucratique » (le mot a une mauvaise connotation ce n’est pas par hasard que j’attribue une mauvaise connotation à ce mot, mais toutes réflexions faites, ceux d’entre vous que le mot « bureaucratique » choque, peuvent dire pouvoir « administratif ». Il y a des gens pour qui ce pouvoir bureaucratique, administratif, est le seul but dans la vie, le seul mode d’existence. Ce sont les élus du peuple, bien sûr, parce qu’il y a toujours les élus du peuple..., ce sont les administrateurs, il y a des études spéciales qui préparent à l’exercice du pouvoir dans un pays comme la France, tout passe par l’école, (c’est l’Ecole des Sciences Po, l’ENA) ..., ce sont les énarques. Pour ces administrateurs pour qui l’exercice du pouvoir si j’ose dire à l’état pur est le seul but de leur vie, il n’y a pas de problème.
Comment cela se présente-t-il chez les médecins et plus particulièrement chez les « psys » ? Ce pouvoir, lorsque les gens sont faits pour le pouvoir, qu’ils soient flics, ministres ou patron de commerce et industrie, nous trouvons ce pouvoir normal. Or, chez nous autres, médecins, les psys sont des médecins pas tous nous le verrons tout à l’heure, psychiatres disons, ce pouvoir administratif et démocratique existe et avant tout existe dans un monde institutionnel.

Il peut exister peut-on dire à la fois en gros et en petit : en gros c’est-à-dire agir sur les évènements en général et au détail c’est agir sur telle ou telle personne, sur telle ou telle catégorie de personnes, sur telle ou telle communauté. Georges Lantéri-Laura l’aurait fait mieux que moi, mais il faut rappeler que un premier exemple des contacts des psys avec le pouvoir bureaucratique au niveau macroscopique global de tous les pays, c’est la loi de 1838 : ceux qui ont eu la patience de lire le compte-rendu qui occupe deux petits volumes des débats qui, à la Chambre des Députés, ont précédé le vote de la loi de 1838, y auront lu des choses absolument passionnantes : deux catégories d’hommes de pouvoir s’allient contre une troisième catégorie pour obtenir la loi. Il s’agissait de savoir qui avait le droit d’asile ou de priver de sa liberté un citoyen en envoyant à l’hôpital psychiatrique quelqu’un présumé dangereux qui n’a encore commis aucune mauvaise action. Dans l’Ancien régime, c’était soi-disant le roi, avec les fameuses lettres de cachot qui exerçait ce pouvoir. Une des premières conquêtes de la Révolution française, bien pauvre parce qu’elle n’a duré que six mois a été la suppression de ces lettres de cachot. Puis tout s’est passé comme si on avait constaté que sans lettres de cachot on ne peut pas vivre, collectivement la société ne tenait pas debout, il fallait bien boucler les ivrognes agressifs, les dilapidateurs de fortune, tout un tas de gens..., la Révolution française était quand même une bonne révolution bourgeoise, et sans ces lettres de cachot, le pays s’est trouvé en état d’anarchie et il fallait retrouver un état de droit et qu’après 40 ans pour le retrouver, la loi de 1838 a constitué un nouvel équilibre. Dans l’esprit de la Révolution française, il paraîssait normal que ce soit la justice, que ce pouvoir devrait aller au juge. Le juge qui condamnait quelqu’un qui a fait du mal à telle ou telle peine de prison avait aussi à décider, peut-être aidé par un expert médical, s’il fallait mettre quelqu’un dans une forme de prison qu’était l’asile, alors que ce sujet citoyen n’a encore rien commis mais est seulement susceptible de commettre un acte répréhensible. Mais cette idée là (qui marche d’ailleurs en Allemagne et en Angleterre) ne plaisait pas beaucoup aux français. Une partie des députés y était hostile contre parce qu’ils trouvaient que la justice est trop lente, trop paresseuse et aussi trop indépendante du vrai pouvoir, du pouvoir royal, du pouvoir d’état. Le conflit s’est développé entre la justice et le Ministère de l’Intérieur, l’administration qui voulait que ce soit la force publique qui puisse exercer ce pouvoir, les maires aussi, bref le pouvoir administratif.

Les psychiatres ont apporté leur pierre à la défense de la thèse de l’administration contre la thèse des partisans du pouvoir judiciaire dans ce conflit. Cela se résume par un merveilleux discours du Ministre de l’intérieur de l’époque, qui, avec le style propre à la première moitié du XIXème siècle a bien exprimé les choses. Il dit en substance : « admirez comment le seigneur a bien fait les choses et comment les besoins du pauvre malade représenté par monsieur Esquirol médecin psychiatre et les besoins de l’Ordre public que je représente modestement, moi Ministre de l’intérieur, comment grâce à la bonté divine, ces besoins sont parfaitement harmonieux et vont de pair. D’une part, pour l’ordre public, plus vite on boucle quelqu’un, plus l’ordre public est assuré et d’autre part, vu que ce sont des malades comme Esquirol nous a appris et qu’on sait qu’en médecine mieux vaut prévenir que guérir, plus vite on les boucle et plus on va à la guérison parce que dans ces asiles, bien entendu, ces malheureux vont être soignés ». C’était donc la conjonction de l’ordre publique et d’une rationalisation des soins qui a permis après 18mois de débat, d’éliminer le pouvoir judiciaire et donner ce pouvoir-là à deux catégories de personnes : les médecins (pas forcément les psychiatres d’ailleurs), mais surtout les psychiatres, avec le fameux certificat et puis, le pouvoir administratif, tantôt les policiers, tantôt les maires.

Dans ce premier temps, les psys se sont donc posés comme pouvoir d’interner les gens pour les soigner et pour sauvegarder leur public. Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, quand ces asiles ont montré de plus en plus qu’ils n’assumaient pas cette fonction de soignants, les psychiatres ont commencé à se plaindre de cette fonction. Rares sont ceux qui ont dit que leurs précédesseurs devaient accepter et revendiquer cette responsabilité. Ils ont préféré la reporter sur d’autres, en bons contestataires ou se plaindre des insuffisances de la promiscuité infâme en se rangeant du côté des malades et contre le pouvoir. Sur ce positionnement, j’avais écrit là-dessus un court texte publié dans 10/18 écrit dans la foulée de mai 68 « La schizophrénie du psychiatre de gauche ». Des « collègues » qui se présentaient dans leur discours comme très profondément « anti-pouvoir » et très profondément « autonomie et soins ». Quand on les rencontrait dans la pratique, dans leur « asile », leur hôpital, il n’y avait pas tant de différence entre eux et les psychiatres qui ne se disaient pas de « gauche ». J’ai pensé qu’il y avait-là un peu de schizophrénie et surtout un décalage entre le discours et la pratique.

130 ans après cette loi de 1838, mai 1968 : nous avons assisté à une très violente lutte pour le pouvoir où la chose psy était objet de ce pouvoir, d’une manière toujours macroscopique. Il y avait deux grandes catégories et une troisième était la mouche du coche ou le Tiers Etat. Les deux grandes catégories qui se battaient pour le pouvoir étaient les psychiatres du cadre c’est-à-dire des hôpitaux psychiatriques et les psychiatres de l’hôpital universitaire. La rationalisation était merveilleuse, pour l’hôpital universitaire c’était des rationalisations théoriques sur lesquelles nous reviendrons : le psychisme cela relève du cerveau donc c’est normal que la neurologie soit sœur jumelle de la psychiatrie. Si on abandonne la chose psy, si on l’a fait sortir du pouvoir médical ?? ?? Dieu sait où on ira, ce ne sont plus des malades, mais des pauvres prisonniers, donc il faut qu’on la garde et puis il n’y a que nous qui faisons de la bonne médecine, c’est nous qui avons fait des concours très difficiles, c’est donc normal que cela soit nous qui gardions le pouvoir de nommer les gens, le pouvoir de gagner plus d’argent, de pouvoir de former des étudiants, les asiles ce sont des choses absolument infâmes, tout le monde le sait, c’est donc pas à ces gens-là de donner un pouvoir formateur quelconque.

Les psychiatres du « cadre » eux, avaient un langage exactement inverse qu’on a plaisir à retrouver décrit de façon merveilleuse avec vivacité dans le fameux Livre Blanc de la psychiatrie française 1966-67, où ces psychiatres ont dit en substance : « c’est une véritable honte, il faut une seule psychiatrie et pas deux, les hôpitaux universitaires font de la psychiatrie de luxe, nous, nous faisons la psychiatrie populaire. Les psychiatres universitaires ne connaissent rien à la psychiatrie, il ne connaissent que la neurologie, il n’y a que nous qui connaissons la psychiatrie, c’est une véritable honte que nous, qui avons été toute notre vie psychiatres soyons les seuls à ne pas avoir la qualification de psychiatre donnée par le Ministère, c’est une véritable honte que nous seuls qui avons les 120000 malades psychiatriques de France, ne participions pas à la formation ».

La bagarre fut féroce, un ministre avait une fille qui était dans un camp, un autre ministre avait un fils qui était dans un autre camp et dans cette bataille qui faisait rage, il y avait un troisième, la mouche du coche surtout composé de femmes (mais c’est normal dans notre société), le corps des psychologues qui disait toujours en substance : « mon dieu, c’est une véritable honte de laisser le pouvoir uniquement à ces vilains médecins vu que c’est une chose psy, les études médicales n’y préparent guère, nous en savons largement autant qu’eux et c’est vraiment honteux qu’on ne nous donne pas de pouvoir ». Il y eut une thèse en médecine là-dessus passionnante en médecine, mais c’était très très beau de voir les mêmes psychiatres du cadre se comporter comme des révolutionnaires qui contestent un pouvoir établi au nom d’une idée, au nom du bien commun, quand ils se comportaient dans la lutte contre l’hôpital universitaire et comment ils renvoyaient ces mêmes arguments que l’hôpital universitaire leur renvoyait à ce troisième petit corps qui émergeait, le corps des psychologues. Le résultat est connu : la bataille a été quasiment complètement gagnée par les psychiatres du cadre. Et en particulier contre les psychologues qui n’ont rien obtenu de ce qu’ils voulaient : ni le droit de signer des feuillets de sécurité sociale, ni au salaire aussi élevé. Ils ne l’ont gagné qu’en partie contre les hôpitaux universitaires, premièrement en doublant leurs salaires, ce qui était quand même important.

En mai 68, seules deux catégories de populations ont eu un gain de salaire aussi important : les smicards et les médecins des hôpitaux psychiatriques. Pour tous les autres concernés par les accords de Grenelle, les augmentations ont été infiniment plus modestes et se sont bien effritées avec l’augmentation des prix. Pour les psychiatres du cadre cette reconnaissance est restée valable pendant des années. D’ailleurs certains, parmi les plus pugnaces ont reçu le titre de « professeur agrégé » c’est-à-dire sont entrés dans le sérail de l’hôpital universitaire pour participer de leur pouvoir ou pour le subvertir de l’intérieur. Dans cette bataille que je trouve parfaitement légitime de tous les côtés, ce n’est pas à moi de dire qui avait tort ou raison. Ce qui était important c’est que cette bataille soit pour un pouvoir bureaucratique mais toujours au nom des rationalisations théoriques entre trois catégories de « psys » : neuropsychiatres, psychiatres « tout court » et psychologues. Cette même bataille se poursuit dans chaque institution et même une génération après. Elle continue sur le pouvoir, elle continue sur le pouvoir sur un malade. La bataille entre hospitalo-universitaires et psychiatrie du cadre persiste aussi. Je vous fait grâce du pouvoir que les psys exercent en universités, c’est-à-dire le pouvoir de former les étudiants, de donner les notes, de considérer qu’untel est digne d’être psy ou non, (ça aussi c’était contesté en mai 68), mais il fallait bien quand même que quelqu’un décide. Il y a donc le pouvoir là dans les institutions sur le personnel, le pouvoir sur les horaires du personnel, le pouvoir sur les congés, le pouvoir sur les planning, le pouvoir sur les tâches. C’est toujours le médecin qui pense devoir dire au psychologue ce qu’il doit faire et il reste que le psychologue puisse le dire au médecin. Il y a aussi le pouvoir sur les familles, par exemple le droit des visites. Je me souviens d’un ami psychiatre, d’un psychiatre disons qui a trouvé cette assez géniale : il interdisait toujours les visites et les congés aux familles qui le demandait et qu’il obligeait à prendre leurs enfants en congé et en week-end aux familles qui le répugnait : la rationalisation était clair et pour lui c’est la psychanalyse qui la lui a donnée : les familles qui voulaient prendre les gosses le week-end c’était des familles hyper protectrices qui avaient avec les gosses une relation fusionnelle et symbiotique c’était donc à lui le psychiatre d’interdire cette relation, de la couper, d’interdire au maximum les visites et d’empêcher les gosses d’aller le week-end dans leur famille ; par contre les familles qui pour une raison ou une autre répugnaient à prendre les gosses en week-end, c’était des familles rejettantes et son rôle de bon psychiatre défenseur d’enfants était de les rendre le moins rejettantes possibles, en leur imposant de force les enfants. Cette utilisation bureaucratique avec sa rationalisation théorique d’un pouvoir qu’un psy exerce envers des parents d’enfants et il y a lieu de discuter au nom de qui ou de quoi il l’exerce.

Le pouvoir des psychiatres dans les institutions reste considérable à travers la Cotorep, psys qui décide qui a droit au statut de travailleur handicapé, a un taux d’invalidité supérieur ou inférieur à 80, aura ou non de l’argent : c’est un pouvoir extraordinaire qui s’exerce ici sur les gens et ce pouvoir est utilisé d’une manière ou d’une autre. (sur quoi je veux insister est que ce pouvoir-là est toujours utilisé au nom d’une rationalité et d’une « théorie » quelconque). Par exemple les médecins qui allouent largement les invalidités le font au nom d’un certain humanisme qui se traduit par « il faut bien qu’il vive, l’état on s’en fout, moi je défends l’usager, je donne facilement la pension ». D’autres diront : « si je lui donne la pension, cela va lui enlever son autonomie, cela va le rendre assisté pour la vie, moi mon but c’est de rendre les gens autonomes, il vaut mieux mourir debout que vivre à genoux, ça c’est Appasionniada qui l’a dit pendant la guerre d’Espagne » et là-dessus certains psychiatres le traduisent : « il vaut mieux crever autonome que vivre  ??  ». Et il y a toujours une bonne cause aussi bien pour les uns que pour les autres, même à la Cotorep ...
Pour cet outil quotidien du médecin qu’est l’ordonnance, le problème se pose aussi : avec une ordonnance de Pénicilline on voit peu la notion du pouvoir et beaucoup plus la notion du soin. Prescrire des tranquillisants à un angoissé, à la place de la psychothérapie, c’est déjà un peu plus prendre du pouvoir. Il m’arrive de refuser les somnifères à des jeunes adolescents qui me les demandent, en leur répondant : « à ton âge, tu es un clodo, tu ne va pas prendre des somnifères, il faut que tu fasses la psychothérapie », d’une part je joue là une base théorique pour l’adolescent : une psychothérapie c’est mieux qu’un médicament, j’essaye de jouer de mon pouvoir charismatique sur lequel je reviendrai parce que ces adolescents me voient comme puissant, chouette, et rigolo, mais finalement pour ne pas leur donner d’ordonnance, je profite de mon pouvoir bureaucratique parce que sans ma signature, aucun pharmacien ne délivrera des somnifères. La question est : il peut les voler ou s’il dispose d’un certain niveau de connaissances sociales que les adolescents n’ont pas tous, oser aller chez un médecin généraliste pour les obtenir. Ceux qui osent déjà, je m’en occupe personnellement. Cela fait partie de l’exercice du pouvoir. Le pouvoir bureaucratique, c’est la force et c’est aussi l’information et quand je vous dis que je refuse cette signature, cette ordonnance pour des raisons théoriques en profitant de mon charisme et finalement, grâce à mon pouvoir bureaucratique, il s’y inclut la rétention d’information, il n’a qu’à se débrouiller tout seul, j’ai pas besoin de lui donner des conseils. Le même pouvoir va apparaître déjà dans une situation-duelle : faut-il oui ou non donner des tranquillisants voire la Méthadone à un drogué lorsqu’il est en manque, et lorsqu’on sait qu’il ne demande ces tranquillisant que lorsqu’il est en manque et qu’il s’en fout complètement quand il peut avoir sa cam ? Le pouvoir bureaucratique est très fort en institution qui prescrit d’énormes doses de neuroleptiques, et charge les infirmiers qui dépendent de lui à surveiller la prise de ces médicaments neuroleptiques est un peu moins démocratique que qui prescrit les mêmes neuroleptiques en consultation externe où les choses sont un peu plus contractuelles. Mais, lorsque la mère les donne à l’enfant, ce pouvoir devient bureaucratique entre la maman et moi par rapport à l’usager. Elle est investie d’un pouvoir bureaucratique par un tiers pour donner ces neuroleptiques à l’enfant, que cela lui plaise ou non et c’est toutes ces choses que les psychologues demandent. Il y a aussi le problème des certificats où le pouvoir psy reste grand, le certificat des assurances, le certificat des victimes de guerre (j’ai eu fait 250 certificat qui n’étaient pas toujours faux ... pour des gens persécutés pendant la guerre et j’étais investi bureaucratiquement soit par le Ministère des anciens combattants, soit par l’Ambassade d’une puissance devenue amie ?? persécutrice, et en fonction de ce que j’écrivais, les gens avaient ou n’avaient pas de pension).

Le certificat d’arrêt de travail parfois remis de manière injuste au risque d’abus du pouvoir.

Le pouvoir bureaucratique des psys est donc assez important aussi bien d’une matière « macroscopique » dont j’ai donné deux exemples, qu’en manière moyenne dans les institutions et même dans le privé. Mais ne croyons pas puisqu’on parle de choses psy, que les psychologues n’en auraient. Eux qui râlaient comme des poux qu’ils n’ont pas assez de pouvoir parce qu’ils voulaient mordre le gâteau du pouvoir des psychiatres, mais dès qu’il n’y a pas de psychiatre, la chose les investi d’un pouvoir et ils peuvent avoir du pouvoir quand ils savent s’en servir.

Exemple : le pouvoir des expertises. Dans la justice des mineurs les psychologues actuellement occupent suffisamment de place pour avoir plus de pouvoir que les psychiatres. La réforme est très simple : le Ministère de la justice est de longue date un ministère très pauvre : une heure de psychiatre coûte beaucoup plus cher qu’une heure de psychologue : la justice préfère s’entourer, surtout la justice des mineurs qui est une justice mineure, d’experts psychologues en gardant les experts psychiatres pour la justice criminelle qui est beaucoup plus noble, avec les Assises, etc... Les quelques médecins psychiatres dans des cas plus graves font des expertises. En faisant des expertises et des tests, le psychologue décide selon le résultat d’un test, si les gosses peuvent aller dans telle ou telle filière. Sans qu’il soit question d’abus ici dans notre pays, dans les années 60, lorsque j’avais des psychologues comme élèves, je les enseignais en leur montrant comment augmenter les taux, les scores des tests parce qu’à cette époque la Sécurité sociale refusait la prise en charge lorsque le QI était inférieur à 55. Ils étaient alors reconnus comme incurables et dépendaient uniquement de l’aide médicale, ce qui était extrêmement honteux et douloureux pour les familles. Nous y avons mis fin et c’est une fierté de ma vie d’y avoir un tout petit peu collaboré, mais avant qu’on y mette fin, je disais aux psychologues qui ne m’avaient pas attendu pour le faire parce qu’ils étaient gentils, que quand un gosse avait un QI autour de 55, il fallait lui mettre 60 pour qu’il puisse être pris en charge par la Sécurité sociale.

Il s’agissait donc d’un « bon » exercice du pouvoir pour l’usager et d’un « mauvais » pour les finances de la République.

Quelques années après je suis allé au Danemark en visite Professionnelle. J’y ai vu avec stupéfaction que là-bas le « bon » psychologue, celui qui aime l’usager, c’était celui qui baissait le QI. Il y avait là-bas toute une catégorie de la population avec des QI autour de 70. S’ils avaient plus de 70, ils étaient considérés comme vagabonds et relevaient de la police. A moins de 70, ils touchaient une pension pour débilité mentale. Donc là les « bons » psychologues côtaient à 68 ...

En France, depuis la loi de 1975 et la création de la Cotorep, nous sommes retrouvés dans la situation danoise ce qui prouve combien mes étonnements d’autre fois étaient des étonnements ?, dans un pays cultivé. Les psychologues ont donc quelques pouvoirs même bureaucratiques, de par leur expertise aidés par leur ??
Venons-en au pouvoir à base de théorie. C’est là que les choses deviennent peut-être un peu plus spécifiques des psys. Ce qui nous distingue un peu des énarques, des flics et des juges, c’est que nous pensons que nos pouvoirs relèvent d’une certaine théorie scientifique. Les juges savent bien que leur pouvoir relève du droit mais ils ne disent pas que le droit n’est pas naturel, le droit est écrit par les hommes et les juges ont le pouvoir de commenter ce droit, de l’interpréter mais le pouvoir a une base théorique, c’est le droit. Pour les élus et les administrateurs, le pouvoir relève aussi d’un certain contrat apparent, la constitution, les décrets, alors que nous autres psy, tout comme les médecins, nous estimons d’une manière implicite qui mérite d’être réfléchie que notre pouvoir relève de notre savoir. La question commence à devenir amusante. Est-ce que le savoir donne le pouvoir ? J’hésite à traiter cette question : quand j’étais professeur à Vincennes durant 8 ans, j’ai entendu l’accouplement ou plutôt la copulation de ces deux termes de pouvoir et savoir en soprano, en mezza-voce, en basse, en orchestre, en solo et cet accouplement m’est sorti un peu par les narines, mais il faut bien l’aborder. Je pense qu’il est implicitement admis par les masses travailleuses comme on disait à Vincennes, que le pouvoir doit être proportionnel au savoir. Ce qui un peu le cas du juge quand il est bon juge qu’il connaît par cœur son code Napoléon, le juge affreux ne connaît rien aux lois, il condamne les gens à la mort donc on dit : « celui-là exerce son pouvoir à bon escient parce qu’il connaît bien les choses, l’autre c’est un affreux, il fait déjà un abus de pouvoir ».

Il n’y a pas de doute que les médecins surtout depuis une génération appuient leurs pratiques sur la base d’un savoir solide. Un bon physicien, un bon ingénieur ou un savant est en rapport direct avec son savoir. En Sciences humaines la chose est plus complexe : dans les années 70 avec monsieur Barre le pouvoir était aux économistes, mais avec monsieur Mitterrand, on l’a plutôt donné à des sociologues. Les sociologues étudient bien les choses de la société. Mais une fois qu’on leur donne le pouvoir, ils se débrouillent comme ils peuvent. Bien sûr que, dans ce qu’on appelle les Sciences Humaines, il y a les mêmes titres, les mêmes examens, le même langage que dans les sciences de la vie et de la nature alors que leur savoir, notre savoir est beaucoup plus contesté, beaucoup plus contestable et beaucoup plus restreint. Je crois que c’est ça parce que je laisse tomber les économistes, les sociologues, il n’y a pas de doute que ce qui choque les gens, pourquoi on parle beaucoup plus de pouvoir médical chez les psys que chez les autres, c’est parce que quand un médecin somaticien prescrit de la Pénicilline pour une pneumonie, quand un chirurgien décide s’il faut réduire une fracture par voie sanglante ou par voie non sanglante, il a un savoir assez solide là-dessus, un savoir souvent plus empirique que théorique mais solide, alors que chez nous on a souvent un savoir empirique, il ne faut pas non plus scier la branche sur laquelle nous sommes assis et c’est sûr quand avec nos yeux d’aigle, nous jugeons qu’un tel pronostic est mauvais et un tel pronostic est bon hélas ! nous avons souvent raison. Heureusement nous avons souvent tort. Je pense à un de mes patrons qui quand il voyait une jeune fille de douze ans habillée d’une manière un petit peu attrayante sortant d’un milieu pauvre, assez pauvre à l’école mais jolie, disait : « elle est jolie, bête et pauvre : elle sera putain ». Là il s’est basé sur un certain corps de savoir qui était que les gens pauvres jolis et travaillant mal à l’école deviennent des prostitués, il se servait de ce savoir pour exercer un pouvoir parce que la fille en question n’avait droit ni à la psychothérapie ni aux médicaments mais d’emblée aux juges. Il mésusait un peu de son pouvoir, mais il n‘y avait pas que ça. Je pense qu’autant que dans le champ des sciences de la vie, le savoir théorique est relativement solide disons, en tous cas plus ou moins parallèle au pouvoir qu’il donne aux gens et bien dans notre ?, psy le savoir est, sinon pas solide, au moins très contesté et n’entraînant pas ce qu’on pouvait appeler « le consensus de la communauté scientifique ».
Prenons le traitement des psychoses de l’enfant dans les années 80. La question des apports de la psychanalyse au traitement des psychoses a longtemps été le caractère psycho génétique et les bases psychanalytiques de la compréhension, et par conséquent du traitement des psychoses infantiles un postulat, comme une donnée des faits, sur lesquels on allait broder ensuite les différentes méthodes thérapeutiques : la méthode malerrienne, la méthode doltoïenne, la méthode manorienne, la méthode cal ?? peu importe, s’il y avait encore des sous-écoles mais tout le monde était d’accord qu’on ne peut rien comprendre à ces dysharmonies si on ne le regarde pas avec des yeux de psychanalyste.

D’autres, avec une conviction tout aussi forte, affirmaient que les psychoses infantiles relèvaient sûrement d’un problème biologique, biochimique, génétique, que le vrai traitement des psychoses viendrait le jour où on aurait une bonne pharmacologie et qu’en attendant, plutôt que la psychothérapie mais il fallait des mesures éducatives à ces enfants comme les autres. La psychanalyse n’avait absolument rien à dire. Son seul but était de culpabiliser les parents, chacune de ces visions donnant un pouvoir quasiment totalitaire dans une institution.
Ces derniers gouvernaient des psychotiques traités par de grosses doses de médicaments pour qu’ils restent calmes, avec une éducation plus ou moins adéquate et dans le cas le plus extrême des renforcements positifs ou négatifs (leur taper sur les doigts quand ils font quelque chose de désagréable, leur donner des bonbons quand ils font des choses qui plaisent aux gens). Au long de cette théorie (il paraît qu’ils l’ont arrêtée mais j’en suis pas sûr) certains proposaient même de jeter les enfants à l’eau pour pouvoir les sauver ensuite et développer un attachement affectif à base de théorie de stimulus et de réponses.
A l’opposé, certaines théoriques psychanalytiques lorsqu’elles gouvernent une institution, auraient donné (cas extrêmes mais authentiques aussi), des cas comme celui où un enfant psychotique qui aime un peu fouiller dans des boites à merde, dans des boites à ordures et bien on déclare psychanalytiquement que tel est son désir et on l’enferme pour la journée dans une boite à ordures et on verse sur lui lentement des ordures et des immondices, et on ne savait plus pas si on se réfère ici plus à Lacan plus à Boris Vian.

Dans une autre maison tout aussi psychanalytique où deux enfants plus ou moins grabataires dont un a une diarrhée aiguë, on les mettait tête-bêche dans le même lit en disant : « s’il en a vraiment marre de la merde, il se lèvera et il marchera » c’est-à-dire une certaine négation du biologique, une certaine dypostasie du psychologique, de la volonté, de l’autonomie. Cela a pu mener à des choses assez amusantes mais aussi discutables ... !.

Dans notre chose psy, les champs théoriques sont beaucoup moins nets qu’ailleurs même si, à lire attentivement un journal comme « La Recherche », on se dit que dans les autres sciences même les plus physiques du monde, l’assise théorique n’est pas si nette qu’on voudrait le croire de loin. Par exemple prenons une science aussi abstraite que l’astrophysique : tous ceux qui sont pour la théorie du Big-Bang ont une petite connotation avec le bon Dieu qui a créé le monde et ceux qui sont le plus matérialistes, dialectiques ou non, cherchent le pou dans la tête de la théorie du Big-Bang parce que le mot même de la création les hérisse.

Pour la biologie, vous connaissez très bien les batailles enflammées entre les néo-darwinistes, les néo-lamarriens ou les évolutionnistes, sans parler des gens comme biologiste ?? , bref c’est sûr que chaque fois que nous regardons de près (et il y a toute une branche de gens très amusants qu’on appelle les psychologues des Sciences), lorsque l’on cherche ce qu’il se passe dans la tête des scientifiques avant qu’ils sortent une belle théorie, on trouve, (comme chez vous et moi), un tas de choses obscures, de problèmes éthiques, moraux, religieux, méthaphysiques.

Dans les autres disciplines, ceci est plus ou moins maîtrisé, ou moins compensé par les règles de la scienticificité, de vérification, de communication. Pour les psys ça n’existe guère. Les règles de la méthode expérimentale ne marchent absolument pas dans la psychanalyse, les évidences du psychanalyste sont rien moins qu’évidentes en dehors du champ psychanalytique avec le règne de l’analogie, le règne de l’intuition, le règne d’un raisonnement hypothétique permanent etc ... et puis surtout pas d’expérimentation possible. Ce qui est extrêmement douloureux au sujet des psys et du pouvoir, c’est de sentir d’une manière très blessante et très douloureuse que nous avons peut-être plus de pouvoir que de savoir. Je crois que cette humilité est très importante à obtenir. On pourrait donner de plus les avantages que donne au nom de l’usager telle ou telle théorie mais non.

Ce pouvoir théorique est donc un pouvoir basé sur un savoir réel mais il faut le distinguer d’un pouvoir qui se rationalise par un pouvoir-savoir supposé.

La troisième catégorie de pouvoir est le pouvoir « charismatique ». Un tout petit brin d’auto-psychanalyse m’a conduit à constater que dans mon esprit, il y avait tout le temps une opposition farouche entre un mauvais objet qui est le pouvoir démocratique, et un bon objet qui est le pouvoir charismatique. Le pouvoir charismatique dans la définition que j’en donne, c’est celui lié au supposé savoir, non plus au savoir réel, mais au savoir dû à notre rayonnement, à l’influence extra-verbale, infra-verbale, verbale, que nous avons sous les yeux. Cela se voit très bien dans mon petit topo : le pouvoir bureaucratique c’est du caca et le pouvoir charismatique c’est du bon. Et puis quand je me suis trouvé devant la feuille de papier blanc et que je me suis posé des questions, je me suis dis : « mais dis-donc le pouvoir charismatique et bureaucratique tu dis que c’est mauvais le bureaucratique parce que tu ne l’as jamais eu, tu ne l’as eu que trop tard et pas assez alors que le pouvoir charismatique il est bon parce que tu l’as eu très tôt et en grande quantité » Alors il est évident que le pouvoir que j’ai eu moi ?? bon et que le pouvoir qu’ont les autres, il est toujours contestable. C’est sur qu’on ne trouve les abus du pouvoir que chez les autres et pas chez soi.

Le pouvoir charismatique donne du plaisir et de la satisfaction. Le pouvoir charismatique d’un enseignant est lié au plaisir de voir que les élèves gobent tout ce qu’il dit. Le pouvoir charismatique d’un homme publique est de voir son nom cité maintes fois et en bien dans des articles des autres, c’est de voir que les autres agissent comme vous auriez voulu qu’ils agissent parce qu’ils vous ont entendu parler. Le pouvoir charismatique il existe là en ce qui concerne les psys, aussi bien dans l’institution que dans une convention ??. Le pouvoir charismatique dans une institution c’est que tout le monde croit que ce que l’on dit est bon, que tout le monde écoute sans trop contester ce que l’on dit, et quand le grand docteur vient, les familles et les malades lui obéissent.

Proust a décrit merveilleusement le pouvoir charismatique chez un médecin généraliste, c’est Proust, dans une scène d’un volume qui s’appelle : « La mort de la grand-mère ». La grand-mère va très mal, elle doit mourir, elle est en pré agonie etc ... On a appelé le médecin de famille. Il dit avec son air de pince sans rire : « enfin on décide d’appeler monsieur Dieulafoy ». Monsieur Dieulafoy vient, (c’était le plus grand patron de l’époque) il ausculte soigneusement la grand-mère et on savait que appeler monsieur Dieulafoy voulait dire : avoir la permission de mourir. Cela veut dire que c’est plus la faute à personne si la grand-mère meurt, qu’on a fait tout ce qu’il fallait faire pour la sauver, Monsieur Dieulafoy avec une gentillesse extraordinaire, une douceur, une délicatesse nous a expliqué que la grand-mère était perdue. Tout le monde était tellement soulagé, tout le monde était tellement ému à la gentillesse qui rayonnait de monsieur Dieulafoy que nous ne nous sommes même pas aperçus de 20 louis d’or qu’il a pris négligemment en sortant et puis bien entendu la grand-mère meurt deux jours après la visite de monsieur Delacroix mais la famille est apaisée. Ce n’est donc pas le pouvoir bureaucratique parce que ce n’est pas Dieulafoy qui l’a tuée, le brave homme pauvre, pas non plus le pouvoir théorique parce que les autres médecins en savaient autant que Dieulafoy que la grand-mère va mourir dans deux jours, c’est le pouvoir charismatique que monsieur Dieulafoy avait parce que c’était Monsieur Dieulafoy.

J’étais jeune étudiant en médecine, j’ai un ou deux patrons qui avaient cette aura charismatique. Leur nom était ?? en médecine générale, en psychiatrie, maintenant c’est une catégorie qui se perd parce que notre société actuelle, dans les sciences de la vie, préfère des rationalisations théoriques et refuse plutôt le charisme pur, mais il existe toujours. Je me souviens c’était il y a longtemps, Monsieur Jean-Bernard au XXème anniversaire de l’INSERM, donnant un discours extrêmement beau, extrêmement élevé, tellement émouvant mais avec plusieurs inexactitudes flagrantes pour ne pas dire des bêtises qui n’avaient frappé personne, que si elles avaient été dites par un étudiant en sixième année de médecine, il l’aurait empêché d’avoir son examen.

Pourtant, j’ai eu l’honneur et le plaisir de connaître Jean Bernard (il était assistant et moi externe), j’avais une admiration folle pour lui en tant qu’homme de savoir théorique. Cela montre que le pouvoir charismatique est souvent l’aboutissement d’un pouvoir théorique exercé longuement. Il est très important en ce qui concerne la psychanalyse, parce que c’est par exemple en clientèle privée dans le fait que nous pouvons influencer, tout en restant neutre et bienveillant une personne qui se confie à nous sur un mode contractuel, il n’y a plus aucune bureaucratie apparente et tout est charismatique parce que notre savoir est vraiment très contestable, mais notre savoir-faire est déjà beaucoup moins contestable, parce que tout le monde ne sait pas aussi bien psychothérapiser l’un que l’autre, les psychanalystes ne sont pas égaux, bien que certains voulaient dire qu’ils sont égaux en disant que les seuls qui travaillent c’est l’analysant, et qu’à la limite la personnalité d’analyste ne sert à rien mais c’était tellement faux que ??? donc ce pouvoir de savoir-faire devient à la longue charismatique.

Ce pouvoir charismatique peut d’ailleurs être utilisé à bon ou à mauvais escient. Et là où je me suis aperçu que je voulais me justifier en mettant le pouvoir charismatique comme ça comme un bon objet permanent et le pouvoir bureaucratique comme un mauvais objet permanent, il n’y a pas de doute que le patriarche a un pouvoir charismatique, que ?? a un pouvoir charismatique, que tous les gourous, tous les sorciers ont un pouvoir charismatique, je me suis dis que finalement si j’aime tellement le pouvoir charismatique, c’est que malgré tous les diplômes dont je suis bardé, je me sens dans mon for intérieur marabout, sorcier. Une fois mon petit cas personnel mis de côté, on ne m’en voudra donc pas de rappeler cette évidence. le pouvoir charismatique tout comme le pouvoir bureaucratique et tout comme le pouvoir théorique peut être utilisé à bon escient ou a mauvais escient.

L’abus du pouvoir : est-il à bon escient, est-il à mauvais escient ? Mon maître et ami Lucien Bonafé nous a toujours dit : « ce qui est bon c’est ce qui est au service des usagers, ce qui est mauvais c’est ce qui n’est pas au service des usagers ». Pendant les années 70, tel un perroquet j’ai répété ce que disait Bonafé, et j’ai trouvé cette formule géniale, merveilleuse, révolution psychiatrique, communiste, socialiste, progressiste, mai 68 et après, je me suis demandé s’il n’y avait pas des cas où la chose n’est pas simple. Cela m’est apparu très nettement au début des années 80. Je parlais un jour devant une association de parents des malades psychotiques. J’avais toujours professé que les parents étaient des affreux et que seuls les usagers m’intéressaient : les gosses, les adolescents. J’ai même écrit un petit texte qui s’appelait : « comment rendre votre enfant un délinquant » et qui était un pamphlet féroce et sanglant contre les bons petits parents petits bourgeois. Un jour devant quatre cents personnes qui étaient tous des « affreux » parents, au lieu de les voir affreux, je les ai vus beaux, malheureux, déboussolés, peinés, chiants certes (mais donc moi aussi j’ai vieilli, donc pas plus chiants que moi) et je me suis dit qu’il fallait peut-être réfléchir qui est l’usager » et qu’à défendre tout le temps les clients contre la famille, il fallait peut-être parfois penser à des choses bonnes pour la famille. Cooper qui était juif « massacrait » les familles comme André Gide. Je me suis toujours demandé si en vieillissant il cesserait de les voir comme des émanations, le rouage du pouvoir fasciste contre l’individu.

A partir de cette rencontre-là, il n’était donc plus aussi évident que cet usager était seul. Peut-on encore savoir qui est l’usager et de plus en plus dans ma pauvre pratique j’ai vu que j’étais pris dans des conflits d’usagers où je me suis servi de mon pouvoir à la fois bureaucratique théorique et charismatique pour essayer de concilier un peu, les contraires. ?

Un écrivain français un peu comme Jean De La Fontaine a très bien compris ces problèmes d’usagers quand il a dit : « on ne peut pas contenter tout le monde et son maître ». Nous les psys, dans notre problème de pouvoir, pleins de bonne volonté pour nous servir de notre pouvoir uniquement pour l’usager, ne sommes pas toujours sûrs de le faire à bon escient. Différentes théories nous aident .... La psychiatrie classique (telle que je l’ai connue au temps de ma jeunesse), était toute entière tournée vers les parents et contre les malades. Ensuite la réaction c’était les ?? et ?? qui se croyaient tout entier pour les malades, fussent-ils arriérés et psychotiques et tout entier contre les parents fussent-ils les gens les plus braves du monde. Peut-être peut-on espérer que les psychanalystes comme les non psychanalystes, cherchent un espèce de modus vivendi où on prenne soin des uns et des autres. Les thérapies familiales, les systémiques ou non ont un sous bassement théorique en train de se construire. A côté des usagers la société a elle aussi des droits et lorsqu’en période de pénurie vous donnez un certificat de pension pour un simulateur, vous faites une bonne action pour l’usager qui est là devant vous avec l’idée que, parce que vous vous dites pour simuler la folie il faut être un peu fou, mais vous faites sûrement une mauvais action envers une société qui vous paye et qui est une société qui est de plus en plus une société de disette et plus la société d’abondance que nous avons connue dans les 30 glorieuses. La communauté a aussi peut-être le droit.

Jeune, j’espérais qu’un personnel heureux rende les enfants heureux en institution et je faisais tout avec le peu de pouvoir que j’avais pour rendre le personnel heureux, en espérant ainsi rendre les enfants arriérés heureux. Je me suis aperçu que le personnel était très souvent heureux à tricoter en faisant causette, à l’époque on faisait passer un test psychologique alors c’était la causette autour du tricot, et en laissant les arriérés patauger dans leur crotte, ce qui était resté ensuite dans les institutions psychanalytiques où la causette autour du tricot était remplacée par la synthèse, alors que du point de vue des enfants arriérés c’était toujours la même crotte. Donc il n’est pas vrai hélas que le bonheur des uns fait le bonheur des autres. Le pouvoir implique le choix.

Bien sûr, comme chacun j’ai toujours voulu penser que seules les autres abusent du pouvoir, que je n’en avais jamais abusé. Ceux qui m’ont vu agir pourront très bien vous décrire où et quand j’ai abusé du pouvoir le plus souvent sans m’en apercevoir. Les psys sont ici comme les autres. On pourrait penser à Tosca certainement où le monsieur qui use de son pouvoir pour coucher avec la belle Tosca pour sauver la vie de son amant, il sait qu’il abuse de son pouvoir d’ailleurs il est tué à la fin, mais il y a donc des affreux qui abusent de leur pouvoir ouvertement en le sachant en y trouvant un plaisir que nous appelons sadique ou pervers.

Je pense que la majorité des gens même lorsqu’ils abusent de leur pouvoir, trouvent toujours une rationalisation quelconque à cet abus. Quelques exemples : ces abus du pouvoir des psys les plus répugnants ou les plus affreux, ou les plus ignobles, sont ceux des psys qui participent à la torture. En Uruguay, au Chili, chez les Soviétiques, mais d’une manière très différente parce que ce n’était pas des tortures, mais c’est un usage seulement psychiatrique, il n’y a pas de doute que là aussi, pour ceux qui ne savent pas je peux vous raconter combien ici la théorie importe peu et c’est la morale qui compte. Parce qu’au Chili, on connaît un psychologue ?? qui se servait très bien, qui donnait des programmes excellent à ses tortionnaires pour se servir des carottes et des bâtons pour essayer de briser la résistance psychique de certains prisonniers. Mais le même psychologue ne crachait pas non plus sur la porte de la psychanalyse et par exemple, en étudiant de très près la vie un peu intime de tel ou tel prisonnier, il s’était aperçu qu’il était extrêmement attaché à son père et il a réussi à faire des scénarios absolument affreux en disant « si tu dis pas ce qu’il faut c’est ton père qu’on va massacrer etc », il y avait pas mal de gens, même en psychanalyse ?? mais même si c’était fait qu’une fois cela mérite d’être dit, quelque soit la théorie on peut mettre la psychologie au service des ? . Et je passe sur la schizophrénie politique et sur l’utilisation des neuroleptiques en ex Union Soviétique. Pour en avoir parlé avec des psychiatres soviétiques dans les années 80, ils n’avaient pas la même vision des choses que nous. Ils voyaient ça comme une humanisation ! Ils disaient « au temps de Staline, ces gens-là auraient tous une balle dans la nuque, ils ont des neuroleptiques c’est plus agréable, avec l’espoir d’en sortir un jour ». Ce qui nous paraît affreux, ne paraît peut-être pas affreux à ceux qui le font.
Participer aux tortures, faire participer sciemment notre savoir et notre savoir-faire au service de la destruction de la personnalité est un abus du pouvoir et criminel.

Cela devient plus discutable lorsque c’est fait au nom du bien du client. Je vous donne deux exemples sans prendre position : 1/ un psychiatre que j’ai bien connu faisait manger le vomissement aux anorexies mentales. Moi j’ai toujours trouvé cela répugnant, ignoble et infâme pourquoi ? Parce que j’aime les anorexiques mentales et que je trouve que c’est inhumain et dégradant de faire manger à quelqu’un ses vomissements. Or ces nobles praticiens disaient : « tous les moyens sont bons pour que cette jeune fille prenne du poids ». Voyez : la faim justifie les moyens.

Toujours dans le même domaine de l’anorexie mentale (mon domaine préféré), la pratique de l’isolement avec les programmes : « à tel poids : téléphone, à tel poids : une visite, à tel poids : tant de visites et sortie à tel et tel poids ». Sous une forme emphémisée ?? il y a toujours ce qu’on appelle des contrats avec une jeune fille anorexique lorsqu’elle rentre dans le service. Pour soigner les anorexies mentales nous nous servons souvent dès que nous sommes dans une institution de notre pouvoir bureaucratique et pas seulement charismatique et du théorique.

Est-ce pour autant de l’abus de pouvoir ou non ? La finalité est manifestement propre et bienveillante, il s’agit de sauver cette jeune-fille. Le cas limite dans l’autre sens par rapport aux vomissements, c’est la nana qui pèse 24 kg qu’on est sûr qu’elle va mourir dans les semaines à venir, on lui fait une perfusion contre son gré, sachant que une fois qu’elle reprendra trente kilos, on pourra de nouveau discuter avec elle, faire de la psychothérapie, en tous cas tout n’est pas perdu. De la même manière, faut-il interner ou non provisoirement quelqu’un qui est en train de se suicider, a-t-on le droit de le prendre et de l’empêcher de se suicider ? C’est-à-dire a-t-on le droit de nous servir de son pouvoir que nous donnent nos forces physiques pour empêcher quelqu’un de se suicider ? Enseignant à Vincennes, j’avais des gens qui me contestaient très violemment, qui m’ont traité de fasciste, ça m’a fait un peu drôle, parce que je trouvais que les médecins doivent se donner comme but la guérison d’une anorexie mentale. Et on m’a opposé là le non pouvoir total en disant : « si l’anorexie mentale veut mourir, il faut la laisser mourir. Et tout ce qui l’empêche de mourir, que ce soit la psychothérapie, que ce soit la contention est un abus de pouvoir ». Les abus de pouvoir certains peuvent les trouver partout. Il y a encore les électrochocs : « Vol au-dessus d’un nid de coucou » est manifestement un abus de pouvoir, donner des électrochocs à un mélancolique délirant chez qui ont échoué quinze jours de perfusion alors qu’on ?? en marche avec trois électrochocs, ici l’abus du pouvoir est beaucoup plus discutable.


[1] cs 6 05 2004
md-cs 25-09-04

QUELQUES RÉFLEXIONS CONCERNANT LE POUVOIR EN GÉNÉRAL ET CELUI DES PSYS EN PARTICULIER -
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