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Stanislas TOMKIEWICZ, « Les droits de l’enfant », Actes du colloque européen, 8-9 et 10 novembre 1990 - Amiens. CRDP, 1991


L’enfant, droits et devoirs

Stanislas TOMKIEWICZ, « Les droits de l’enfant », Actes du colloque européen, 8-9 et 10 novembre 1990 - Amiens. CRDP, 1991

Je ne suis pas juriste mais médecin praticien et chercheur. En tant que psychiatre infantile je me suis intéressé aux droits de l’enfant par deux voies : dans le cadre d’une étude commencée depuis longtemps sur les violences faites aux enfants dans les institutions dont le but est le bien de l’enfant mais aussi en tant qu’élève spirituel d’un médecin polonais juif que certains d’entre vous connaissent, qui s’appelait Janusz Korczak et qui a écrit un petit texte génial intitulé : Le droit de l’enfant au respect. J’ai donc suivi grâce à mon ami Nigel Cantwell, l’élaboration de la Convention des droits de l’enfant ; je veux m’en faire ici le défenseur parce que, pendant ce colloque, vous entendrez tous, une critique très habile et très intellectuelle de cette Convention et de la notion même des droits de l’enfant. Je dis donc d’emblée que je ne serai pas objectif ; d’ailleurs je ne crois pas beaucoup à l’objectivité scientifique dans ce domaine fondamentalement normatif et idéologique. Cette défense de la Convention ne m’empêchera pas de pointer certaines ambiguïtés et insuffisances concernant par exemple la notion de l’enfant ou le concept même du droit de l’enfant. Je crois que certaines personnes, parmi les meilleures, craignent beaucoup qu’accorder les droits à l’enfant, c’est oublier ses devoirs et son rôle d’enfant. Ces craintes, à mon avis, relèvent de deux ordres de raisons, sans oublier ce que j’appellerais une rationalisation.
Le droit d’être un enfant est capital
Cette rationalisation est très belle et je suis à cent pour cent d’accord avec elle : elle proclame que donner trop de droits à l’enfant, c’est en faire une personne adulte et lui enlever le droit le plus fondamental, celui d’être un enfant, d’être bête, de se tromper, d’être insouciant, de jouer. Cette idée est tout à fait juste. [...] Parmi les deux raisons, l’une est d’ordre philosophique, politique et national, l’autre est tout aussi philosophique mais relève davantage de l’ordre familial et de la vie quotidienne. Du point de vue philosophique, il s’agit d’une très forte crainte de donner à l’enfant trop de droits politiques qui, parce que l’enfant est un être suggestible, risquent d’entraîner des déviations extrêmement graves, par exemple une alliance immorale contre nature, entre ceux qui profitent de cette crédulité et des enfants, détenteurs des droits ; une telle alliance se dirigera forcément contre le reste de l’humanité, c’est-à-dire les adultes. [...] D’autres craintes plus discrètes concernent davantage la vie quotidienne et familiale ; elles disent : « Mon Dieu ! Cela va nous faire regretter le bon vieux temps ; cela va détruire l’équilibre familial ; on va tous devenir fous comme en Suède où un enfant qu’un parent a giflé a le droit de porter plainte à la police ou aux juges. » Ceux qui pleurent après le « bon vieux temps » ont peur que l’enfant ne se taise plus à table, qu’il réponde à ses parents, s’il n’est pas d’accord. Ils ont peur que leurs enfants devenus adolescents, et surtout adolescentes, aient des relations sexuelles sans leur permission. [...]
Je crois donc que ces craintes sont passéistes et irréalistes. Passéistes car elles mettent en avant « le bon vieux temps » et semblent ignorer que l’humanité, malgré les hauts et les bas, progresse en général vers une humanisation plus grande, au moins en théorie ; irréalistes, car nous sommes encore très loin d’une société où les enfants vont terroriser les adultes. [...]
Il y a des cas de figure où les représentants de l’État - vous et moi, les juges, les psychiatres, les fonctionnaires - sont très embêtés et ne savent pas quelle position prendre. Regardons les jeunes filles musulmanes âgées de 15 ans, « contaminées » par leurs petites camarades françaises qui veulent disposer de leur corps comme les petites européennes, ce qui est tout à fait contraire à la morale et à la tradition islamiques. Il y a trente ans, les psychiatres étaient tout à fait du côté des parents. Il était amusant de voir comment dans le conflit qui les opposait à leurs filles, ces mêmes personnes qui étaient très catholiques, plutôt racistes, qui n’aimaient ni les Arabes, ni les musulmans, dans ce conflit entre le droit des adolescents et le droit parental, prenaient presque toujours parti pour les parents. Les maisons de bonnes sœurs, les « Bons pasteurs », étaient remplies de jeunes filles algériennes à qui on cherchait à la fois à inculquer la bonne religion catholique et l’obéissance à un père musulman, à ne pas se marier avec le jeune de leur choix, mais à accepter le mari, parfois âgé, que le papa musulman voulait leur imposer. Cela a beaucoup changé en trente ans ! Quant aux psychiatres ils sont devenus tout à fait défenseurs des droits de l’adolescent et ils s’opposent plutôt aux parents musulmans. Mais avec le coup du tchador à l’école tout le monde a perdu pied : on n’a plus su qui était de droite, qui de gauche, qui était progressiste, qui réactionnaire. J’aurais d’ailleurs tort de m’en moquer, puisque j’étais exactement dans le même pétrin idéologique que les autres et que j’ai de la peine à dire où se trouve le bon droit.
La Convention facilitera le travail des juges et des fonctionnaires
Il y a ainsi des situations concrètes où entre l’État, la famille et l’enfant, il n’est pas du tout évident de savoir distinguer le bon, le vrai et le juste. Mais je ne crois pas du tout que ce soit la faute de la Convention. Je crois au contraire qu’elle apporte ici quelques clartés et qu’elle facilitera le travail des juges et des fonctionnaires des différents États. Bien entendu, nous savons tous aujourd’hui qu’il faut défendre les enfants contre les mauvais traitements familiaux, mais l’histoire de jeunes filles nous guide vers un autre problème qui va constituer la suite de mon propos : il ne s’agit plus de la protection de l’enfant mais de son libre arbitre, de sa liberté, de sa position de sujet de droit, et non plus seulement d’objet de protection. Dans ce domaine, je comprends bien les critiques parce que la Convention est ici assez ambiguë. Il s’agit d’une ambiguïté bien anglo-saxonne que j’aurais tort de trop critiquer parce que tout le monde n’est pas cartésien. En effet, on n’y trouve pas de distinction nette entre le droit « protection » et le droit « libération ». Pour un non cartésien comme moi, cette ambiguïté n’est pas un péché mortel mais elle reste certainement un péché véniel qui prête le flanc aux critiques, surtout dans un pays comme la France où on aime que les choses soient très claires bien classifiées, nettes et logiques. Regardons de plus près ces problèmes de protection et de liberté. Aujourd’hui personne, du moins en Occident, ne peut plus admettre, comme au XIXe siècle, que l’enfant est la propriété soit de l’État, soit de la famille. Dès 1945, le général de Gaulle, dans une ordonnance sur la délinquance juvénile, a proclamé que les peines des jeunes délinquants ne doivent pas être proportionnelles aux délits mais doivent être remplacées par des mesures éducatives prises pour favoriser les intérêts et les besoins du développement des contrevenants. Ainsi le devoir de protection est admis, même envers les jeunes délinquants. A plus forte raison, on ne voit plus d’exploitations ignobles du travail et du corps des enfants comme dans certains pays pauvres ou comme chez nous au XIXe siècle. Mais si tout le monde est à peu près d’accord sur la protection, ce n’est plus le cas en ce qui concerne la libération. Comme le dit mon amie Madame Théry, sociologue, le danger de la protection est de tomber dans le paternalisme, de considérer toujours l’enfant comme un pauvre petit immature sans s’apercevoir qu’il devient grand. C’est un peu ce que font « les mères juives » ou les parents « hyperprotecteurs », bien connus des psychiatres. D’un autre côté, à trop insister sur la liberté on risque de tomber dans la démagogie. Il est vrai que si on voulait lire la Convention
avec un esprit malveillant, on pourrait facilement faire du mauvais esprit en disant par exemple : « Comment voulez-vous donner le droit à l’expression et à l’information aux enfants de trois ou quatre ans ? » Vous remarquerez en effet que nulle part dans la Convention, l’âge n’est mentionné. Elle confond allègrement l’enfant qui sort du sein de sa maman et celui qui va avoir 18 ans. Il est certain que la liberté ne peut être accordée que selon les compétences de l’enfant et selon ses possibilités d’en jouir, sans quoi on ne ferait que de la démagogie et de l’anarchie. Du coup, je serais d’accord avec Alain Finkielkraut : lui donner la liberté et des droits sans égard pour son âge pourrait nous amener à oublier qu’il s’agit d’un enfant.
La protection et le droit à la liberté ne sont pas contradictoires, mais complémentaires
Pour moi, cependant, le droit à la protection et le droit à la liberté ne sont pas contradictoires, mais complémentaires. Je pense - à tort ou à raison - que le droit à la protection est un droit objectif qui se réfère aux intérêts objectifs de l’enfant. [...] La nouvelle procédure française invite d’ailleurs le juge, chaque fois que c’est possible et utile, à entendre l’enfant lui-même, à ne plus décider de son sort en dehors de lui.
Les besoins objectifs et subjectifs de l’enfant
Que va dire cet enfant au juge ? Le lundi, il pourra dire qu’il veut rester avec papa et le mardi, il dira qu’il veut rester avec maman. Certes, sa parole d’enfant n’est pas toujours fiable - mais les nôtres le sont-elles ? - pour être toujours suivie ; je pense cependant que même cette parole variable peut éclaircir l’opinion du juge. Quand il écoutera et entendra cet enfant, quand il verra sa tête lorsqu’il dit : « Je veux être chez maman » ou « Je veux être chez papa », le juge un peu fin comprendra mieux la situation, et sa décision risque de répondre mieux aux besoins tant objectifs que subjectifs de l’enfant. Je crois donc que ce droit à la subjectivité est extrêmement important ; il n’existe pas, tel quel, dans la législation, parce que ce n’est pas un droit contractuel, mais il pourra nous éclaircir dans beaucoup de situations difficiles.[...]

Il n’y a pas de droits sans devoirs
Une autre source de malentendus et d’ambiguïté est peut-être l’absence de toute allusion aux devoirs des enfants. Le titre de mon exposé étant : Droits et devoirs de l’enfant, il est normal que j’en parle ici. Il est évident qu’il n’y a pas de droits sans devoirs. On ne peut pas à la fois accorder à l’enfant la liberté de penser ou de s’exprimer, accorder à l’enfant, comme le demandaient certains pays pendant la discussion de la Convention, le droit de défendre sa patrie, et en même temps refuser aux autres le droit de le fusiller comme un adulte. [...] Je constate en pratique que même dans des pays aussi démocratiques que la France, on considère aujourd’hui que la responsabilité de l’enfant, ses devoirs et son droit d’être puni viennent plus précocement que son droit à s’exprimer ou à décider librement de son sort. Ainsi, à partir de 12 ou 13 ans, l’enfant peut déjà être enfermé, soit en prison dans presque tous les pays du monde, soit dans une institution qui n’est qu’une prison dégrisée comme en Belgique - mais sans inscription au casier judiciaire. Dans une trentaine d’États des États-Unis d’Amérique, il peut même être condamné à mort dès l’âge de 14 ou 15 ans, et exécuté le jour de ses 18 ans en beau cadeau d’anniversaire. Ainsi la responsabilité, le droit d’être puni est déjà accordé à des jeunes, à qui dans les mêmes pays on refuse le droit de vote, même aux élections municipales, la participation aux bureaux des associations légales, le mariage sans dérogation, les relations sexuelles libres et non contrôlées, etc. Déjà dans la Bible on parle du respect dû aux parents (devoir) et on ne mentionne nulle part le respect dû à l’enfant (droit), pas plus d’ailleurs que l’interdiction de l’inceste.

Dans la Convention, les libertés accordées aux enfants sont bien policées
A ceux qui craignent le caractère trop démagogique de la Convention, je recommande chaudement d’en relire attentivement les articles 12, 13, 14 et 16. Ils verront que les auteurs et les rédacteurs ont pris toutes les précautions pour que les libertés accordées aux enfants soient bien policées et ne soient pas en contradiction avec la loi, l’ordre public et les traditions du pays. Je dirais même que certains extrémistes de la liberté infantile trouvent ces points presque trop passéistes et pas assez révolutionnaires. [...] Je terminerai en disant que les droits que l’on donne à l’enfant ne seront jamais de vrais droits parce que des vrais droits sont toujours le résultat d’un rapport de forces : le droit des peuples à l’indépendance, le droit du prolétariat aux syndicats, le droit des femmes au vote ont tous été arrachés de haute lutte. Or les enfants ne se battent pas pour les droits de l’enfant ; ce sont des droits que nous, les adultes, nous leur octroyons et que nous pouvons toujours leur enlever s’ils ne veulent pas se taire en mangeant leur soupe.





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