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Stanislaw Tomkiewicz n’a pu être le président d’honneur de nos Journées de décembre, à Bénodet, consacrées à l’adolescence : la maladie contre laquelle il luttait avec un grand courage en a décidé autrement. Sa collaboratrice m’avait prévenu avec amabilité et délicatesse de son état de santé : « Il ne pourra pas venir et il ne peut répondre au courrier, me disait-elle, mais, téléphonez-lui, cela lui fera grand plaisir ». Et j’ai téléphoné à Tom souvent, sans doute trop peu, et nous nous sommes parlé souvent, sans doute trop peu ; nous devions nous revoir en janvier. Au bout du fil, il gardait cette voix jeune qui roule les pierres avec la musique et la chaleur des voix polonaises.

Après nos Journées de Bénodet, je lui ai dit : « Vous n’avez pu être des nôtres mais sachez que vous étiez tout de même avec nous par l’esprit et le cœur. » Je lui ai lu cette part de l’exposé introductif que j’y avais prononcé : « La peine que j’ai eue à écrire la présentation de notre réunion n’est rien face à la peine de n’avoir pas parmi nous Stanislaw Tomkiewicz. Notre ami se réjouissait de cette rencontre mais un problème de santé a rendu sa venue impossible. Je pense à son très beau livre L’adolescence volée décrivant une existence de pensée et d’action qui, au-delà du ghetto de Varsovie et du camp de Bergen-Belsen, l’a conduit à la psychiatrie des handicapés et de tous ceux dont la vie a été volée. Karl Jaspers écrit : “L’être humain ne se trouve lui-même qu’avec l’autre être humain et jamais par le seul savoir. Nous ne devenons nous-mêmes que dans la mesure où l’autre devient lui-même. Nous ne devenons libres que dans la mesure où l’autre le devient aussi.” Tomkiewicz a réalisé cela et, rassurez-vous, le réalise encore. Je lui ai téléphoné il y a quelques jours, il allait mieux et était joyeux d’avoir pu se rendre à Montrouge et faire trois consultations et puis il a très envie de revenir à Brest pas seulement pour revoir les pingouins mais aussi les psychiatres. » Après cette tirade, j’entends Monsieur Tomkiewicz s’exclamer : « Ouh là là, mais vous êtes sacrément mimi, vous, le Breton ! »

C’est vrai, Tom s’était rendu à Montrouge, il se sentait mieux, me disait-il, même que sa voiture avait eu quelques ratés et qu’il ne s’en était pas ému. Il était heureux d’avoir effectué ces trois consultations comme si la vie poussait encore en lui, à l’image de ces herbes folles qui se glissent à travers les pierres et parfois les soulèvent. Et pour soulever les pierres, Tom était un peu là ! Son bonheur surgissait dans le vif de son regard profond et pétillant et dans le sourire qui éclairait son visage et animait son être tout entier. ll vous enveloppait de cela, l’amitié était toujours présente et l’intelligence à l’affût, vive comme le regard, accueillante et non scrutatrice. Ce bonheur était celui de la rencontre d’autrui de toutes les forces de son humanité.

Je ne parlerai pas de l’œuvre clinique et du travail de psychiatrie de Tomkiewicz, ni de son militantisme infatigable et efficace pour des institutions de soins véritablement humaines : d’autres qui l’ont mieux connu écriront avec pertinence cette pensée qu’il faut recueillir. Non je préfère vous raconter une histoire de pingouins. La première fois que j’ai rencontré Tom, c’était il y a trois ans, hier encore. Il venait parler aux psychiatres brestois de la dépression chez l’adolescent. Je l’avais accueilli à l’aéroport, impressionné par le grand petit homme. Aussitôt assis dans la voiture, Tom commence à me parler comme si nous étions de vieilles connaissances et il raconte. Je l’écoute plutôt silencieux, risquant çà et là quelques propos amicaux ; alors, il s’interrompt soudain et me dit : « Mais vous me faites de la bonne psychothérapie comme on fait avec les ados ! » Alors, j’éclate de rire, d’ailleurs le soleil est éclatant en ce jour de mai. Nous roulons, sirotant du regard un grand tour de route côtière et buvons face à l’océan un café à la terrasse de la Pointe Saint-Mathieu, le phare rouge et blanc n’a pas encore allumé ses lumières. Nous passons devant le château de Brest au pied duquel on devine en fermant les yeux la potence de Petit Radet, le pirate de L’Ancre de Miséricorde de Mac Orlan. À ce moment, j’apprends à Tom l’existence de pingouins à Oceanopolis, le gigantesque aquarium brestois qui résume les mers du monde. Il sursaute, veut absolument les voir. Ce n’est pas possible, le temps est trop compté mais une autre fois sûrement ! La dépression de l’adolescent s’associe à la visite de Brest maritime et historique, pourquoi ne reviendrait-il pas parler de la résilience et voir les pingouins, puis de la violence institutionnelle et rencontrer les requins ? Nous tricotons aussi loin que nous le pouvons des projets de thèmes et de visites. « Les pingouins sont-ils résilients ? », nous interrogions-nous. « Peut-être, demandons à Boris (Cyrulnik) son avis. » Lors de cette rencontre, Tom me dit qu’il cherchait le dernier grand poème écrit par Goethe à 75 ans. Par chance, j’avais L’Élégie de Marienbad inspirée par la jeune et très belle Ulrike et le lui offris. Son rêve était d’écrire un semblable poème d’amour : « Il me faut rêver pour vivre », précisa-t-il. Tom a-t-il écrit un poème ? Je l’ignore, mais ce que je sais est que sa manière d’être avait je ne sais quoi de poétique, de surprenant, de délivrant. « Au-delà de la poésie libre, il y a le poète libre », a écrit Robert Desnos qui en connaissait un rayon. Desnos poète surréaliste, « ce cœur qui haïssait la guerre »(1), devenu résistant sous le nom de Cancale et mort en déportation. « Au-delà de la psychiatrie libre, il y a le psychiatre libre » : à défaut d’élégie, Tom aura toute sa vie écrit cela. Épris de liberté, Stanislaw Tomkiewicz n’aimait pas les corps corsetés des pensées et des institutions et, pour lui, la désaliénation avait un sens vivant parce que profondément vécu. L’aliénation la plus féroce, il l’avait connue dès son adolescence lorsque le talon des bottes écrasait la vie jusque dans les plus humbles recoins. Tom me racontait ses morceaux d’existence au ghetto où, avec ses copains, il passait parfois des greniers aux caves pour anesthésier la douleur, autour d’une bouteille d’alcool à 90°. C’est au ghetto que Tom a rencontré « son » psychiatre, le seul semble-t-il qui y subsistait et qui portait sans doute en lui ce fragment de L’Élégie de Goethe :

« Imite donc ma joyeuse sagesse
Droit dans les yeux regarde le moment
Cours le trouver et sois-lui bienveillant
Dans l’action, l’amour et l’allégresse
Ainsi candide et maître du possible
Tu seras tout, tu seras invincible. »

La joyeuse sagesse, l’action, l’amour déployés vers le possible : Stanislaw Tomkiewicz avait recueilli cela naturellement et le développait dans une psychiatrie vivante, allergique aux chosifications, aux grilles, à la dernière chimie en mode. Pour cela, Tom demeure un classique et sans doute un styliste de la psychothérapie et de la réflexion sur les institutions. Quel sera son héritage ?

Lors de notre dernière conversation, il me parlait du livre de Rosenfield La Mégalomanie de Freud(2) et évoquait le pseudo-concept de simulation qui eut son heure de gloire, si l’on peut dire, car, en son nom lors de la Première Guerre, de ce côté du Rhin comme de l’autre, on fusilla bon nombre de soldats victimes de névrose traumatique... La psychiatrie pré-freudienne croyait plus à l’électrothérapie qu’à la parole.

Dans la ménagerie de Desnos, il y a la grenouille aux souliers percés, le poisson sans souci, l’oiseau du Colorado, l’araignée à moustache, le chat qui ne ressemble à rien, l’éléphant qui n’a qu’une patte, mais pas de trace de pingouins ! Allons, ce n’est pas grave si les pingouins ne sont pas de toutes les sorties ni de tous les poèmes.

« Aujourd’hui je me suis promené » s’achève ainsi :
« Moi je regardais les arbres en fleurs
La rivière passer sous le pont
Et soudain j’ai vu que j’étais seul
Alors je suis rentré parmi les hommes »

J-C. G.
Brest

* Cf. LLPF N° 121

(1) DESNOS (R.), Ce cœur qui haïssait la guerre, in Destinée arbitraire, NRF, Gallimard, 1975.
(2) ROSENFIELD (I.), La Mégalomanie de Freud, Seuil, 2000.





   Les hommages   
  
Jean-Claude GRULIER   
  
Dr G-Y FEDERMANN   
  
Claire Brisset   
  
TOM, un homme d’exception   
  
Pourquoi tu ris ?   
  
Plusieurs vies   
  
Le Quotidien du Médecin [9 janvier 2003]   
  
Le Monde [10 jan. 2003]   
  
AAA toi, Tom   
  
La fureur de vivre   
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